Les lits de sable épais, vingt ans après
Date: 25 avril 2007 à 00:00:00 CEST
Sujet: La rubrique d'Aquamag


DSB
Au début des années 80, la maintenance des invertébrés marins en aquarium relève encore de l’exploit individuel et repose sur des changements d’eau abondants et réguliers. L’aquariophilie récifale n’en est qu’à ses balbutiements et les réactions physico-chimiques et biologiques spécifiques à ce type de milieu sont encore mal comprises. C’est dans un contexte de tâtonnements et d'innovations qu’est apparue une méthode de maintenance qui constitue encore l’un des pilliers de l’aquariophilie récifale. Il s’agit de la méthode Jaubert, du nom de son inventeur, l'actuel directeur du Musée Océanographique de Monaco.




Qu’est ce que la méthode Jaubert ?

Cette méthode a fait l’objet d’un dépôt de brevet à la fin des années 80. Elle y est définie comme un "procédé de purification biologique des eaux contenant des matières organiques et produits dérivés, utilisant la diffusion et l’action de micro-organismes aérobies et anaérobies et dispositifs pour la mise en œuvre". Elle repose essentiellement sur la maîtrise des mécanismes biologiques d’ammonisation, de nitrification et de dénitrification qui permettent de dégrader la matière organique en azote gazeux. Ammonisation et nitrification sont réalisées par des bactéries aérobies - qui ont besoin d’oxygène - tandis que la dénitrification est effectuée par des bactéries anaérobies - qui n’ont pas besoin d’oxygène. La combinaison de ces différentes réactions dans une même enceinte est proposée dès le texte d’origine comme une application directe à l’aquarium, en particulier à l’aquarium récifal. Au sein de l’enceinte, les différents microorganismes sont présents dans des proportions équilibrées, et une diffusion s’opère entre leurs différents espaces d’hébergement. Le principe est de créer une zone pauvre en oxygène au fond de l’aquarium, appelée plenum. Il s’agit d’une couche d’eau séparée du substrat par une grille. Le substrat est une "substance poreuse ou fibreuse imprégnée d’eau" comme elle est décrite dans le brevet; habituellement il s’agit de sable grossier. L’eau confinée dans le plenum, protégé par une grille sur laquelle repose une épaisse couche de substrat, constitue donc la zone anaérobie (pauvre en oxygène) et la surface du substrat constitue la zone aérobie (riche en oxygène) qui est située à l’interface avec l’eau contenant les matières organiques à dégrader. La libre diffusion des produits azotés entre ces deux zones permet alors de combiner l’ensemble des mécanismes qui transforment les déchets en azote gazeux. La dégradation des composés azotés tend à acidifier le milieu et à diminuer le rendement du procédé : il est donc recommandé d’utiliser du corail concassé ou du sable calcaire (du mäerl par exemple) qui sera capable de tamponner l’acidité produite et par là même de libérer des ions calcium qui sont utiles aux organismes calcificateurs. Le substrat calcaire sera dilué par un produit neutre dans le cas des aquariums d’eau douce pour lesquels on cherche à maintenir un pH acide.

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Photos, Julien Théodule

Concrètement, la mise en place d’un système Jaubert passe par un certain nombre d’étapes : une fois le plenum installé, l’espace confiné doit rester dans l’obscurité, grâce à un film noir par exemple, pour éviter toute production locale d’oxygène par photosynthèse. Il est ensuite recouvert d’une épaisse couche de sable calcaire d’une dizaine de centimètres, laquelle est elle-même protégée par une grille afin d’empêcher les macroorganismes fouisseurs de perturber l’équilibre de la couche de sable. Il faut aussi que l’oxygénation de l’eau soit importante ce qui est normalement le cas de tout bac récifal correctement brassé. Dans une variante du procédé qui a pour but d’en augmenter le rendement, la partie superficielle du substrat est fortement éclairé : au cours de la photosynthèse les microalgues produisent de l’oxygène qui sature la couche dans laquelle elles se trouvent. Notons également que dans le brevet, la présence de très petits organismes fouisseurs détritivores est mentionnée : leur présence permet de faciliter les échanges de matière carbonée entre les différentes zones afin de nourrir les bactéries dénitrifiantes hétérotrophes. Pour finir, aucun autre appareillage n’est décrit comme nécessaire (écumeur notamment) et l’utilisation de Pierres Vivantes comme support bactérien n’est pas évoquée dans le brevet.

Rien ne vaut une source originale
Le brevet déposé par le professeur Jaubert est disponible sur Internet. Nous vous invitons à le lire afin de mieux comprendre la méthode en elle-même, mais également saisir le contexte de ce dépôt de brevet : le brevet


Analyse rétrospective de la méthode

Dans les années 80, il devient évident que l’accumulation des nitrates associée à la filtration sous sable et aux filtres semi-humides constitue un obstacle majeur à la maintenance des invertébrés sur le long terme. A l’époque, l’accumulation des nitrates est combattue essentiellement par des changements d’eau réguliers et importants. Mais des procédés plus spécifiques apparaissent tels que les dénitrateurs hétérotrophes ou la culture d’algues sur cadre (méthode du Dr Walter Adey de la Smithsonian Institution de Washington). Aucun de ces procédés n’a la simplicité de la méthode Jaubert. Vis-à-vis du contrôle des nitrates, les résultats de cette méthode sont d’ailleurs impressionnants. Les mécanismes impliqués dans l’oxydation des composés organiques, puis la réduction des nitrates sont bien décrits et certainement très proches de la réalité. Cependant, très peu de données chiffrées sont fournis dans le brevet et elles concernent peu de paramètres recueillis sur seulement trois bacs, dont un seul équipé d’un plenum. Pourtant, il est clairement indiqué dans le brevet que le procédé "permet de conserver indéfiniment, la pureté, la transparence, l’absence de coloration et d’une façon générale l’intégrité des propriétés biologiques et physicochimiques" de l’eau de l’aquarium. Cela suppose que le procédé est "capable d’éliminer ou de neutraliser les composés organiques contenant du soufre et du phosphore, ainsi que de nombreux composés aromatiques (…) Cependant, la nature exacte des processus incriminés reste encore inconnue du demandeur". Il existe aussi un grand flou dans le brevet sur l’intérêt des variantes citées dont l’éclairage intense du substrat et l’ajout de petits organismes fouisseurs, des conditions certainement présentes dans le bac cité en exemple mais dont la contribution est spéculée et non quantifée.

Mais peu importe, ce qui n’est pas dans le brevet original viendra de l’expérience de nombreux particuliers qui vont lancer des bacs en suivant cette méthode et décrire de nouvelles variantes. Les observations de ces amateurs, et les connaissances qui se sont accumulées par ailleurs en vingt ans, permettent aujourd’hui d’éclairer rétrospectivement les points forts et les points faibles de cette méthode. La capacité d’un système Jaubert à boucler le cycle de l’azote ne fait pas de doute : les difficultés rencontrés par certains sont dus à un peuplement trop rapide ou excessif en organismes pollueurs, ou encore à l’utilisation d’un substrat inadapté en qualité ou en quantité. On peut trouver aujourd’hui des indications plus "concrètes" quant à l’épaisseur de la couche de sable que celle citée dans le cadre du brevet qui préfère donner une estimation de la quantité d’oxygène que doit contenir l’eau confinée dans le plenum (un milligramme par litre d’eau). Ces valeurs sont toutefois très empiriques. L’intérêt de l’éclairage intense et des fameux 75% de surface libre n’ont jamais été démontrés, pas plus que l’intérêt d’une microfaune spécifique pour "biotrituter" le substrat. Cependant ces arguments reviennent régulièrement sur les forums de discussions et sont des explications faciles pour expliquer l’échec éventuel d’un bac Jaubert. Une interrogation plus fondamentale est venue d’outre Atlantique : et si le plenum lui-même n’était pas indispensable ?

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Photos, Julien Théodule

La réponse américaine est le Deep Sand Bed (DSB), littéralement lit de sable épais, similaire au Jaubert mais sans espace d’eau confiné sous le sable : ce système est tout aussi efficace que l’original pour la réduction des nitrates. Toutefois il utilise un substrat carbonaté plus fin que le maërl et semble donc plus sensible au colmatage. Dans le cas du DSB, un consensus s’est fait parmi les utilisateurs pour dire qu’une microfaune biotrituratrice est indispensable sur le long terme. Un autre avantage présupposé de la méthode Jaubert, et déduit des mesures effectuées sur le bac de référence, est la stabilité sur des années de la concentration en ions calcium, et ce malgré la présence d’organismes calcificateurs. Mais il est clair aujourd’hui que la plupart des bacs Jaubert qui hébergent une bonne densité de coraux durs, nécessite un apport externe en calcium, la dissolution du susbstrat n’étant pas suffisante.

Lorsque l’on recense les bacs Jaubert en France et les résultats obtenus par les aquariophiles, force est de constater que les résultats sont assez mitigés. Les bacs de ce type sont peu nombreux, l’argument du prix évoqué par des débutants mal renseignés tombe relativement facilement lorsqu’on compare le prix du dispositif (sable, plenum…) à celui d’un écumeur. Ensuite, la plupart de ceux qui montent un bac Jaubert sont des néophytes qui optent pour cette méthode sans en connaître les fondements et les limites intrinsèques. Cette méthode a été la première à régler vraiment le problème des nitrates sur le long terme. Ce qu’elle n’a pu résoudre et qui s’accentue avec le vieillissement d’un bac est l’accumulation des composés phosphorés en mileu fermé: en l’absence d’une méthode d’export, leur concentration augmente avec le temps, jusqu’à ce qu’ ils constituent un réel danger pour les invertébrés, que ce danger soit direct - par empoisonnement - ou indirect en favorisant la prolifération d’algues ou de cyanobactéries. Il s’agit là de la faiblesse majeure de cette méthode. L’écumeur dans la méthode berlinoise permet l’élimination de bactéries et de nombreuses substances avant décomposition, limitant ainsi l’accumulation des polluants. Ceci étant, certains procédés complémentaires d’épuration de ces composés existent et peuvent être associées à un bac Jaubert, comme la culture d’algues supérieures, les filtres antiphosphates, l’ajout de charbon actif (en particulier pour les substances aromatiques) ou plus simplement, mais dans une moindre mesure, les changements d’eau.

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Photo, Julien Théodule

L’empirisme est à l’origine de la naissance de la méthode Jaubert et aucune réelle recherche n’a été menée, concernant notamment l’éventuelle utilité du plenum, le devenir des déchets phosphorés, l’intérêt d’un éclairage puissant, ou l’éventuel bénéfice d’un écumeur, choix que certains ont faits malgré l’opinion répandue mais non démontrée qu’un écumeur est contre productif dans un bac Jaubert… L’évolution de l’aquariophilie récifale pose de réelles interrogations sur l’avenir des bacs Jaubert, en particulier dans sa « concurrence » avec les bacs à lits de sable épais. Mais il est important de constater qu’elle aura permis de faire avancer l’aquariophilie marine et récifale dans la recherche d’une meilleure compréhension des phénomènes biologiques et chimiques qui se produisent dans l’écosystème captif. Il est clair aujourd’hui qu’il ne suffit pas de transformer les composés les plus dangereux en substances moins toxiques mais qu’il s’agit bien in fine de les éliminer : le but n’est plus seulement de filtrer et de transformer, mais bien de purifier afin de maintenir une qualité d’eau optimale sur le long terme. La méthode de maintenance parfaite qui réussirait la synthèse du meilleur des méthodes actuelles reste encore à développer.

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Photos, Julien Théodule et Hervé Rousseau


Pour en savoir plus : L’étude comparative des systèmes Jaubert et à lit de sable épais de Rob Toonen

En Europe les méthodes de maintenance les plus populaires sont les méthodes "Berlinoise" et "Jaubert " tandis qu’aux Etats-Unis la mode actuelle est majoritairement au DSB et au bac annexe de filtration à base de "boue miracle" (Miracle Mud). Malgré un nombre considérable d’utilisateurs, il n’y a jamais eu de réelles études comparatives sur les capacités de ces différentes méthodes à traiter les nutriments dissous et à élimer les substances polluantes. Il existe cependant des défenseurs acharnés de chacune de ces approches, leurs arguments reposant sur des opinions personnelles et des observations limitées. Pour la première fois, une étude comparative a été conduite suivant des critères scientifiques et publiée dans le journal Aquaculture. Une version a été produite pour le magazine internet Advanced Aquarist Online Magazine (An Experimental Comparison of Sandbed and Plenum-Based Systems. Part 1).

Cette étude a été menée par Christopher Wee et le docteur Robert Toonen qui dirige un laboratoire au Hawaii Institute of Marine Biology de l’Université d’Hawaï. Ils ont étudié les effets de l’épaisseur de la couche de substrat, de sa granulométrie, et de la présence d’un plenum sur un certain nombre de paramètres en aquarium. Le premier volet de l’expérimentation utilise 24 bacs d’une dizaine de litres répartis en groupes de trois bacs identiques soumis à huit variables différentes: couche de sable épaisse ou mince, sable fin ou grossier, avec ou sans plenum. Le substrat a été ensemencé en bactéries puis rincé avant d’être mis en place. L’eau de mer est naturelle et filtrée avant usage. Les bacs sont placés dans l’obscurité, brassés, et maintenus à température constante. Du chlorure d’ammonium simulant un apport conséquent de matière organique azotée est ajouté quotidiennement. Le pH, le KH, la salinité et les concentrations en ammonium, nitrites, nitrates, oxygène, phosphates, calcium, et matières carbonées dissoutes sont mesurées régulièrement pendant quatre mois. Tous les bacs s’avèrent capables de dégrader les composés azotés, et en termes d’ammonisation, nitrification et dénitrification, les résultats ne sont pas significativement différents entre les différents bacs, qu’un plenum soit présent ou non sous la couche de sable. La variabilité des paramètres mesurés peut d’ailleurs être supérieure entre aquariums soumis aux même conditions qu’entre aquariums de groupe différents ! Cela souligne toute la prudence qu’il faut accorder aux observations éparses et non reproduites. Les seules variations significatives sont des valeurs plus faibles de KH, pH et calcium (et plus élevée en phosphates) losque un sédiment grossier est utilisé par rapport au sable fin. Cela pourrait être attribuable à la nature du sable plutôt qu'à sa granulométrie, et d'autres tests avec d'autres substrats seront nécessaires pour résoudre ce point.

Dans une seconde phase de l’expérience (An Experimental Comparison of Sandbed and Plenum-Based Systems. Part 2) , les auteurs ont taché de se rapprocher de la réalité aquariophile : ils ne favorisent plus seulement l’activité bactérienne, mais reproduisent un mileu beaucoup plus complexe, en ajoutant des Pierres Vivantes et des animaux (poissons, invertébrés et microfaune), en éclairant les bacs, et en remplaçant l'apport d'ammonium par une nourrissage classique des animaux. Les auteurs mesurent les mêmes paramètres que précédemment ainsi que la mortalité de la faune. De façon surprenante, les résultats sont très similaires aux précédents : le plenum ne semble pas avoir d’effet bénéfique particulier, et l’éclairage et la microfaune ne modifient pas les capacités de traitement des matières azotées par le substrat. Par ailleurs, il semble que la mortalité des animaux soit inversement proportionnelle à l’épaisseur du substrat.

Que conclure de tout cela ? Les conditions reproduites par les expérimentateurs concernent des nanobacs récifaux étudiés sur un temps relativement court, et par conséquent, cette étude ne disqualifie pas la méthode Jaubert sur des bacs beaucoup plus gros et complexes. Cependant cela fournit une abondante matière à réflexion en particulier sur la manière dont on envisage actuellement les mécanismes de dénitrification : combien d’aquariophiles se fiant à leur expèrience personnelle et aux "dogmes" véhiculés dans nombre de livres sérieux et repris sur les forums de discussion, auraient pu prédire les résultats produits par cette étude ??? Tout cela invite à rester humble et nous montre combien il reste à apprendre. La façon d’apprendre et de diffuser l’information aussi doit évoluer. Il faut absolument fuir les vérités pré-établies, basées sur des expériences peu reproductibles et des opinions personnelles, et rechercher les données concrètes. C’est ce que rappele Terry Siegel dans un des éditoriaux d’AAOM: l’aquariophilie manque cruellement de données scientifiques et au-delà de cela, d’une attitude critique des amateurs. Cela laisse une place excessive aux phénomènes de mode, ce qui n’est bon ni pour les aquariophiles ni pour le bien-être de leurs chers protégés.



Article écrit par Florian Lesage & Hervé Rousseau et publié par Récifs.org le 25/04/2007


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Cet article est paru dans Aquarium Magazine n° 223 après édition de la rédaction n'engageant pas la responsabilité des auteurs.


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